La couleur n’est pas un dû. Cette achromie correspond aussi à un besoin d’évoluer par le sensible, une manière de fuir tout conformisme, en travaillant en noir et blanc JonOne détruit pour mieux reconstruire.
"La peinture est une chose mentale" disait Léonard de Vinci. Le travail de JonOne va dans ce sens et dans son contraire aussi. Sur sa toile, il pose tous ses tourments, tous ses souvenirs : des filets de lumières que laissent derrière eux les trains new-yorkais aux couleurs chatoyantes de ses origines de Saint-Domingue. Au début la matière est chargée, il y a du volume, des projections de peinture, la couleur dégueule sur la toile, Jon sort d’un tableau comme un torero sort de l’arène. Épuisé mais vivant, le jean maculé par les stigmates de son art. Et là on se dit que si la peinture est "une chose mentale" c’est aussi un engagement physique. "Action Painting" comme ils disent. Et puis il y a ce fameux coup de bombe aussi. Toute une époque. Ce coup de bombe qui agit comme un mémorial et vient dire "Regardez ! C’est mon histoire."
Presque vingt ans qu’il peint à la bombe, presque vingt ans que la rue est son métronome. Aujourd’hui, Jon a quarante ans. Sa peinture a changé. Lui aussi. Le mouvement du pinceau est plus précis, le trait plus fin, quelques coulures viennent témoigner d’un passé agité mais l’esthétique n’est plus la même. Les thèmes d’inspiration sont eux aussi différents, dans les années 90 Jon regarde les murs de Paris et la toile se charge en adrénaline, "Fuck Paris!" est alors le gimmick en vogue, aujourd’hui les murs sont clean, l’émulation des années tag est bel et bien en berne. Alors il faut trouver de nouvelles sources d’énergies, le sexe en est une. Surtout à quarante ans.
Lors d’une exposition qu’il fait à Hong Kong, Jon découvre le travail d’un photographe hollandais qui articule son œuvre autour du sexe masculin. Inconsciemment, ce thème travaille l’artiste qui le reproduira sous différentes formes dans sa toute nouvelle série, également inspirée par la calligraphie chinoise, "Night and Day". Étouffé par la honte, désireux aussi de représenter son "Moi" sur la toile, Jon nous livre donc une série de toiles très freudiennes, qui forme une composition graphique plus que jamais épurée. L’exposition "Night and Day" est un point dans une phrase. Elle correspond à une fin mais annonce aussi un début. Plus de couleurs, plus de spraycan. Que diront les puristes ? "What the fuck is that shit?" selon Jon. "Dans ce travail la couleur n’était pas nécessaire" dit-il, et c’est vrai. La couleur n’est pas un dû. Cette achromie correspond aussi à un besoin d’évoluer par le sensible, une manière de fuir tout conformisme, en travaillant en noir et blanc JonOne détruit pour mieux reconstruire. "Mon travail est le reflet du temps dans lequel je vis", dit l’artiste, "Je n’ai plus besoin de mettre un coup de bombe sur la toile pour me donner du crédit". "Night and Day" est une exposition charnière, elle nous raconte comment Jon s’est libéré l’esprit, comment il accepte enfin son statut d’artiste, affranchi de tous codes, n’appartenant plus à aucune école, prêt à créer son propre mythe. De ce "ground zero" sortira un nouveau Jon, il y a eu un avant, "Night and Day" annonce le "après".
© Hugo Van Offel / © Speerstra Gallery